Christiane Vulpius

« Vis bien et garde moi dans tes pensées ».

Christiane Vulpius à Goethe.

Maja Rehbei. 

Traduction Daniel Kmiecik. Mis sur le site avec son autorisation.

 

De la Rollplatz, il n’y a que quelques pas pour arriver au cimetière [Saint] Jacques, le plus ancien de la ville de Weimar. La porte d’entrée entourée de sa maçonnerie blanche est ouverte ; le matin promet une belle journée d’été. Peu après, à proximité du mur sud de l’église, je me trouve devant une plaque tombale embrassée par un lierre. Je m’y suis rendue, parce qu’une rose rouge est posée sur la pierre et à l’improviste j’ai découvert la tombe de Christiane Vulpius — la Christiane de Goethe ! Elle n’avait que 51 ans à sa mort. Pensive, je lis les vers de Goethe :

Tu t’efforces en vain, ô Soleil

De briller à travers les sombres nuages!   

Je n’ai plus d’autre objet dans la vie 

Que de pleurer sa perte.

Dans les livres de Sigrid Damm je trouve des réponses à mes interrogations. Quatre années durant, elle travailla à son ouvrage sur Christiane, publia son journal de 1816 et en outre, les lettres du mariage de Christiane et de Goethe, une sélection. Elle décrit tout ce qu’il y avait encore à découvrir dans les archives et registres d’église sur les ancêtres de Christiane. Sa famille était originaire de la Souabe et les racines de Goethe se trouve en partie dans le Thuringe.

Christiane tenait un journal, mais seul celui de l’année 1816 a été conservé. Goethe l’avait placé à côté de ses œuvres et c’est là qu’il était resté depuis plus de 200 ans. Au début du 20ème siècle, Hans Gehrard Gräf écrivit dans le Goethe-Jahrbuch à se sujet, à l’occasion du 100ème  anniversaire de la mort de Christiane ; cela tomba de nouveau dans l’oubli et Sigrid Damm fut la première à redécouvrir le livre.

Son ouvrage sur Christiane eut un grand succès. Pourquoi en vérité ? Qu’y a-t-il de si intéressant chez Christiane, que l’on pense encore à elle, 200 ans après sa mort ? Est-ce seulement parce qu’elle fut anoblie — au vrai sens du terme — par Goethe ? Je me promène dans le parc, à proximité du pavillon de Goethe, le long de l’Ilm et je me représente la scène : c’est le 12 juillet 1788, Christiane a 23 ans. Depuis quelque semaines, Goethe est revenu de son voyage en Italie. Il pense souvent à sa chère romaine — mariée — la Faustina aux boucles noires, son frais minois brunâtre, d’où rayonnent de grands yeux noirs.

Soudain, il rencontre dans le parc une jeune créature qui ressemble à la romaine. De taille moyenne, quelque peu rondelette la créature, avec un visage avenant ! Elle tient en main un écrit, une supplique pour son frère qu’elle veut remettre à Goethe. Son frère Christian August Vulpius s’essaye à devenir écrivain — et se demande si Goethe peut lui venir en aide. En vérité il est juriste, mais l’argent ne suffit pas, ni devant ni derrière. C’est pourquoi elle aussi travaille pour quelques sous, à la manufacture de fleurs artificielles Bertuch.

Assez rapidement la « petite créature naturelle », comme elle se nommait au début, devint l’amoureuse de Goethe. « Ne regrettes pas, aimée, de t’en remettre si vite à moi ! Crois-moi, je ne pense rien d’effronté ni de  trivial de toi. » (3ème élégie romaine). La relation put rester cachée 3 trimestres durant dans la petite ville, jusqu’à ce que la société de Weimar, qui aime les potins, s’en indigne. Avec Charlotte von Stein on en vint à la rupture. Goethe accueillit Christiane chez lui, son domicile sur la Freienplatz et le 26 décembre 1789, le fils Auguste y naquit. Christiane se trouva alors dans la grande angoisse que Goethe la laissât choir. La maison n’appartenait pas réellement à Goethe ; le présent du Duc était plutôt une mise à disposition. La Duchesse Louise, dit-on «  Trouvait cela singulier qu’il lui fît porter son enfant sous le nez tous les jours »[1] Goethe et Christine durent donc déménager dans les maisons de garde chasse devant la ville. Là, sa tante Juliana Vulpius et sa jeune demi-sœur Ernestine, habitèrent aussi avec le jeune ménage.

Lieux de naissance et de mort

En octobre 1791, Christiane fut délivrée d’un enfant mort. Elle devait encore mettre au monde trois autres enfants qui tous sans exception ne vécurent que brièvement sur la Terre. Ici le facteur Rhésus, qui ne fut découvert que plus bien plus tard, joua vraisemblablement un rôle. Le premier enfant était sain, chez les autres surgissaient des intolérances. Des choses qui peuvent être aujourd’hui reconnues et traitées sur le terrain avancé avant leur apparition. On ne peut presque plus se représenter aujourd’hui le chagrin que Christiane, et Goethe avec elle, eut à supporter de ce fait.( Pareillement aussi les souffrances dans les familles pauvres de ce temps-là, par la faim, les maladies infectieuses et la mort de nombreuses mères.)

Ce n’est qu’à l’automne 1792 que le Duc revint sur la disposition qu’il avait prise. Ainsi  Christiane — avec tante et sœur — déménagea dans la maison de la Frauenplatz, désormais nommée par les Weimarois comme « la gouvernante de Goethe »[2].

Je cherche la maison natale de Christiane dans la Luthergasse derrière la Herderplatz. La maison porte une plaque commémorative. Lorsque qu’on avance un peu plus loin dans la rue, on découvre une maison adossée avec un joli jardin baroque : une seconde plaque fait savoir qu’ici, Christiane a passé son enfance. Sur Christiane enfant, rien ne nous a été transmis, mais Sigrid Damm parvint à nous communiquer probablement ce qui en est convainquant. Aller chercher de l’eau à la fontaine, a dû faire partie de ses tâches. Et elle a sans doute volontiers jouer dans la Luthergasse avec les autres enfants de son âge. Caroline Jagemann fut pour elle une amie de cette période, laquelle devint par la suite une actrice accomplie et la maîtresse du Duc Charles-Auguste.

J’ai lu dans l’ouvrage de Damm sur Christiane que la famille Vulpius était pauvre. Le père, qui a fait des études universitaires mais est sans fortune, demanda du travail en vain pendant dix ans auprès de la cour ; ses nombreuses sollicitations ont été conservées. La mère de Christiane était morte alors que celle-ci n’avait pas encore six ans. De nombreux frères et sœurs sont morts en bas-âge. La faim était quotidienne. Sa marâtre mourut aussi très tôt, d’épuisement. Lorsque le père perdit de nouveau son emploi de copiste à la chancellerie, difficilement gagné — parce qu’il s’était rendu coupable d’un léger manquement à la cour — Christiane s’en alla solliciter pour la famille. Sous beaucoup de sacrifice, son frère avait pu fréquenter le lycée et entreprendre des études de juriste à Iéna.

Christiane avait 18 ans lorsque l’infanticide Anna Catharina Höhn fut exécutée à l’épée en place publique en 1783. Christiane se trouvait-elle dans l’assistance ? Sigrid Damm pense que oui, et décrit le rôle de Goethe lors de cette exécution qu’il appuya. Il voulait l’ordre ; le duc Charles-Auguste lui aurait par contre volontiers fait grâce.

Lorsque la grand-mère de Christiane mourut, laquelle avait habité à proximité, elle laissa à Christiane et à son frère un petit héritage. Cela lui permit d’acquérir le droit de cité de la ville de Weimar en 1784. Deux ans plus tard son père mourut aussi.

Et dedans règne…

Je visite la maison de Goethe sur la Frauenplatz. La petite chambre de Christiane m’a particulièrement émue avec son coin couture. Une table avec deux petites chaises sur un petit palier directement contre la fenêtre donnant sur la cour, d’où elle pouvait facilement embrasser d’un coup d’œil les espaces supérieurs. Elle voyait qui venait et qui repartait et dirigeait d’ici le ménage. Tout près se trouvait la cuisine à réchauffer, où les repas étaient maintenus au chaud en dehors de la cuisine, et la petite salle à manger donnant sur le jardin à l’extérieur.

Dans le journal de Christiane se trouvent presque chaque jour des inscriptions comme celles-ci : « dispositions d’économie domestique », « promenade en voiture » « midi pour nous », « Invités à midi », « jeu » ou « théâtre ». Seulement un après-midi on trouve : « lecture et couture »[3].

Le cours journalier semble régulier, malgré cela Christiane menait une vie passablement agitée. Elle travaillait énergiquement au ménage, car tout tournait autour d’elle : « C’est une excellente ménagère ; mon intérieur, qu’elle dirige toute seule, est son royaume. »[4] Tante et sœur aidaient ; en outre, elle avait une cuisinière et une servante.

Et avant tout, elle travaillait volontiers au jardin : derrière la maison, au pavillon de Goethe et plus tard au carré de choux. Elle a certainement suivi dans l’hebdomadaire de Weimar, quelles graines de légumes et de plantes il fallait se procurer. Damm a publié de telles indications dans Christiane Goethe — Journal de 1816 et lettres. C’est incroyable ce qu’offrait cette revue comme table des matières, en cuisine, jardin, légumes, fleurs et graines champêtres.

Ce n’est qu’en 1793 que Goethe parla de Christiane et de son petit bonhomme à sa mère, lors d’une visite à Francfort. Celle-ci, Katharina-Elisabetha, lui fit transmettre ses compliments à Christiane. « Le compliment de la mère aimée », écrivit Christiane à Goethe, « m’est allé tout droit au cœur, j’en ai pleuré de bonheur »[5] — elle qui avait pourtant à peine connu sa mère. Dès lors la mère de Goethe s’adressa directement à elle, quand bien même pas encore comme sa belle-fille et à l’enfant comme à son petit-fils. Des présents furent échangés. En 1797 seulement, Christiane et Auguste, âgé de sept ans, lui rendirent une visite de 3 jours à Francfort. Sinon la mère de Goethe était heureuse de savoir son fils heureux.

Christiane dansait volontiers et prit encore des cours à 45 ans, auprès d’un maître de danse. Elle et Goethe buvaient volontiers du vin et du Champagne. Le soir, ils allaient souvent au théâtre. Rien que pour la Flûte enchantée, elle assista à trente représentations ! Au théâtre il y avait presque une pièce chaque jour. Elle avait des acteurs pour amis et aidait donc Goethe à diriger, en tant que directeur de l’ensemble théâtral. « Car sans toi, sais-tu bien,  je ne pourrais ni ne voudrais continuer de diriger le théâtre. »[6] Inversement, Goethe soutint financièrement son frère, quoique le roman de celui-ci sur le chef des brigands Rinaldo Rinaldini fut un grand succès.

Christiane se rendait volontiers l’été à Lauchstädt, la ville d’eaux, avec son théâtre, récemment créé, car elle pouvait y respirer librement et la société distinguée ne la traitait pas aussi dédaigneusement qu’à Weimar.

Événements Privés et politiques

En 1806 la bataille de Iéna et Auerstedt approchait, que les Prussiens perdirent. Les Français pillèrent la ville de Weimar. Trois jours passèrent avant que Goethe obtînt finalement la sauvegarde qui protégerait sa maison — sous réserve de l’accueil d’officiers français — il était complètement sans droit. Il n’était pas sûr non plus que le petit duché de Saxe-Weimar Eisenach se maintînt. Et il dépendait du Duc ! Celui-ci était absent, sa vaillante épouse, Louise, reçut Napoléon toute seule. Par ce général en chef et son « code civil », tout leur futur en fut déterminé : « Le mariage est le premier pas vers la reconnaissance du droit civil »[7], écrit Sigrid Damm. La maison de la Frauenplatz appartenait toujours au Duc, parce que Goethe vivait dans une relation juridique non assurée. « Mon plus grand souci dans ces heures effroyables était pour mes papiers… »[8] écrivit Goethe à son éditeur Cotta. La version transmise, selon laquelle Christiane, en cette pire nuit de frayeur, se serait jetée devant Goethe, pour le protéger, semble invraisemblable eu égard à la violence des soldats[9].

On peut visiter l’église [Saint] Jacques, on peut même monter au clocher. Je m’étonne de la petite habitation du clocher et de la vue splendide tout en haut sur la ville.

Édifiée au 12ème siècle, sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, l’église [Saint] Jacques fur rasée jusqu’à 1,5 m de hauteur en 1712 et reconstruite sur le même emplacement, du reste par l’architecte Mützel, lequel construisit aussi la maison de Goethe sur la Frauenplatz. La projection horizontale de l’église fut agrandie autour du clocher et de la sacristie provenant d’une construction en exhaussement d’une tombe ancienne.

Étant donné que le château brûla en 1774, la nouvelle église [Saint] Jacques devint l’église de la cour. Après la bataille de Iéna et de Auerstedt, le 14 octobre 1806, elle devint un hôpital militaire pour les blessés prussiens et saxons : remplie des plaintes et gémissements et des râles des mourants. Le troisième jour après la bataille, Goethe écrivit la lettre suivante :

À Wilhelm Christoph Günther

17 octobre

Ces jours et ces nuits, une ancienne résolution a mûri en moi ; je veux reconnaître pleinement et civilement comme mienne ma petite amie qui a fait tant pour moi et traversa aussi avec moi ces heures d’épreuve. Dites-moi très estimable monsieur le  pasteur et père, comment entreprendre cela de sorte que nous fussions mariés aussitôt que possible, dimanche, ou même avant. Quels sont en conséquence les démarches à faire ? Ne pourriez-vous officier vous-mêmes, je souhaiterais que cela eût lieu dans la sacristie de l’église de la ville.

Donnez-moi réponse à ce message, sitôt qu’il vous parviendra. S’il vous plaît !

Goethe.[10]

 Mais dans l’église de la ville, où avait officié Herder jusqu’à sa mort, en 1803, se trouvaient des prisonniers prussiens. En ville la situation était devenue plus calme. Le samedi 18 octobre, l’église [Saint] Jacques fut débarrassée, ainsi sa sacristie fut-elle à disposition. (Selon le protocole ecclésiastique de l’église de la cour du dimanche 19 octobre 1806). La bénédiction nuptiale fut accomplie le dimanche 19 octobre, par le haut conseiller au consistoire Günther. Goethe, Christiane, leur fils de 16 ans, Auguste et son précepteur Friedrich Wilhelm Riemer y furent conduits en calèche et en repartirent aussitôt après. Une plaque commémorative rappelle cela sur l’église [Saint] Jacques.

La sacristie est atteignable au travers d’un étroit passage contourné derrière l’autel. Un petit espace presque quadratique avec un crucifix, une console et des chaises. Sur les murs sont affichés des reproductions de l’écriture de Goethe et quelques images. Christiane avait été autrefois baptisée dans cette sacristie. À présent, elle est là, assise à côté de son aimé, compagnon de vieille date, la petite Christiane Vulpius à côté du célèbre poète, le conseiller intime Johann Wolfgang von Goethe ! La panique et l’angoisse physique pour la vie n’était passée que depuis quelques jours. Christiane peut à peine encore reprendre ses esprits et la joie, occasionnée par ce pas accompli par Goethe, ne lui vint assurément que peu à peu. Elle était assurée à son côté à présent au sens civil. Mais elle était pareillement certaine que les hostilités de la société continueraient, quand bien même à présent elle s’appelait Christiane von Goethe — peut-être même carrément à cause de cela.

Ordre et souffrance tardive

La nouvelle vie de femme du conseiller intime fut difficile à maîtriser pour Christiane. Sa première invitation fut chez la bourgeoise Madame Schopenhauer. « Si Goethe lui donne son nom, nous pouvons bien lui offrir une tasse de thé »[11], écrivit celle-ci à son fils.

Madame von Stein se comporta en refusant Christiane, mais apparut en personne deux ans plus tard à un thé chez elle. La majorité des dames nobles firent semblant de ne pas la voir comme avant. Si elles le firent, elles ne voyaient que l’amour de Goethe, d’autant que lui, avait été anobli par le Duc depuis 1782. À lui, le poète doué, elles pardonnaient son origine roturière — pas à Christiane. De ses fréquentes absences, elle eut beaucoup à souffrir. Le point d’orgue fut en 1811, un conflit verbal de Bettina von Armin avec Christiane. Goethe en interdit sa maison là-dessus à Bettina. Sigrid Damm découvrit dans une lettre de Achim von Arnim à Savigny les lignes suivantes : « parce que ma femme avec ses fréquentes visites lui posait des obstacles dans ses fréquentations putassières d’acteurs »[12].

En 1815 Goethe écrivit à Christiane : « Cherche à bien t’entendre avec la mère [Charlotte von Stein] et le reste des femmes. Dans les petites et grandes villes à la cour, comme lieu d’asile, dans le calme et la constance conciliante de ce qu’apporte passablement la vie. »[13] Mais deux années auparavant, dans la difficile année de guerre 1813 (avec la Bataille des Nations[14] près de Leipzig et des mouvements de troupes au travers de Weimar) Goethe lui fit présent, après 25 ans de vie commune, de son poème, que tout le monde connaît bien :

« Trouvaille »

J’allai au bois

Pour moi, donc

Ne cherchant rien,

C’était mon inspiration.

Dans l’ombre je vis

Une petite fleur dressée,

Scintillant comme les étoiles

De ses beaux yeux doux.

Je voulus la cueillir,

Sagement, elle me dit :

Vais-je donc faner

En étant brisée ?

Je la déterrai

Avec toutes ses racines.

Au jardin la rapportai

En l’aimable demeure.

Et la replantai

Au lieu secret [de mon cœur, ndt].

À présent elle croît toujours

Et continue de fleurir.

« Gefunden »

Ich ging im Walde

So für mich hin,

Und nichts zu suchen,

Das war mein Sinn.

Im Schatten sah ich

Ein Blümschen Stehn,

Wie Sterne leuchtend,

Wie Aüglein schön.

Ich wollt es brechen,

Das sagt es fein:

Soll ich zum Welken

Gebrochen sein?

Ich grub’s mit allen

Den Würzeln aus.

Zum Garten trug ich’s

Am hübschen Haus.

Und pflanzt es wieder

Am stillen Ort;

Nun zweigt es immer

Und blüht so fort.

 

D’autres poèmes furent composés pour Christiane : Plainte matinale, La visite, Audacieuse et joyeuse, L’épigramme vénitien et La métamorphose des plantes.

En lisant son journal de 1816, je devine que c’est seulement en apparence qu’il y a un train-train quotidien. Christine n’a plus que quelques jours à vivre. Elle ne le sait pas, mais le lecteur, lui, le sait et il part en quête de signes.

Or il en surgit un, réellement, dans une lettre pour Goethe du 15 mai : « Vis bien et garde-moi dans tes pensées. »[15] Le 17 mai, elle se sent souffrante, malgré cela elle a une visite. Un changement de temps est intervenu et Goethe écrivit dans son journal : « Nuit de froide ténèbres »
En lisant son journal de 1816, je devine que c’est seulement en apparence qu’il y a un train-train quotidien. Christine n’a plus que quelques jours à vivre. Elle ne le sait pas, mais le lecteur, lui, le sait et il part en quête de signes.

Après une amélioration passagère, c’est apparemment un accident vasculaire cérébral qui l’atteint le 19 mai. « Orage menaçant » note Goethe dans son journal. Une fois encore, Christiane se remet : le 22 mai, elle peut de nouveau veiller à l’économie domestique et recevoir des visites. L’après-midi elle est seule, le soir au théâtre. Avec l’aide du secrétaire Kräuter, elle écrit à Goethe qui est à Iéna : Cher Conseiller intime […] Je remercie Dieu d’avoir échappé si heureusement.  À présent je me sens bien, ma tête a retrouvé toute sa légèreté, mes sens sont libres et éveillés […] Vis donc bien et garde-moi dans tes pensées. »[16] Deux annotations s’ensuivent dans le journal, les 23 et 24 mai. De manière habituelle, jusqu’à un : « Atmosphère mélancolique, impassible à l’égard de tout… »

Le mercredi 29 mai, Christiane souffre d’accès violents, crampes et faiblesse. Goethe revient de Iéna. « État de santé dangereux de mon épouse », note-t-il dans son journal. Le jour suivant : « Mate[17] et faible. Quitte son lit vers midi. […] Garde la chambre. Au lit de bonne heure. »[18] — Goethe travaille.

Le 6 juin 1816, vers midi, Christiane s’éteint. Ces cinq derniers jours furent épouvantables. Elle mourut vraisemblablement d’une atteinte rénale, associée à d’insupportables douleurs. Le 8 juin à 4 heures du matin, Christiane est inhumée au cimetière [Saint] Jacques.  Elle ne repose pas dans la tombe auprès de ses proches, la grand-mère, les parents, les quatre enfants morts en bas-âge. Elle reçoit une tombe en ligne comme cela était prescrit légalement depuis 1806. Goethe n’est pas présent à l’inhumation, ni non plus lors de la cérémonie pour Christiane l’après-midi à l’église de la ville. Il est malade et garde le lit. Le fils Auguste veille à tout ce qui est nécessaire. Mais le petit poème destiné à Christiane a dû naître ce jour-là.

… sur la tombe dispersée

Aujourd’hui est un jour maussade. Une fois encore je me rends à la tombe de Christiane.  La rose est encore là, quand bien même fanée entre temps. La pierre tombale, que nous voyons aujourd’hui fut posée en 1888, après que la tombe d’origine était devenue à peine trouvable. Mais elle n’est pas non plus la pierre originale, remplacée en 1945, puis une fois encore après le Tournant. Pour le moins, Christiane ne dut pas éprouver la mort de son fils unique, Auguste, qui mourut à Rome en 1830.

Entre temps, j’ai appris beaucoup de choses sur Christiane. Et il s’en élève un regret sur la manière dont elle fut souvent ignominieusement traitée — absolument pas en conformité à son rang. Goethe fut-il un des rares qui virent beaucoup plus profondément [en elle, ndt] ? Eckermann souffrit aussi sous la société de Weimar et Goethe l’apprécia plus que tous, car celui-ci se donnait totalement à son œuvre. Et pareillement Christiane — indirectement — s’est consacrée pleinement à l’œuvre de Goethe, en veillant à ses fondements  économiques. Autant qu’il lui fut possible, elle veilla à ce qu’il travaillât en paix. Qu’elle dut en cela se retirer derrière cette œuvre, ce fut son tragique personnel. Elle s’en effaça tellement que son image n’en est encore reconnaissable que dénaturée. Il faut en remercier les ouvrages de Sigrid Damm qu’une lumière plus claire brille désormais sur Christiane. — Et comme si le Soleil voulût venir en aide à une telle idée, la chape obscure des nuages se déchira quelques minutes, tandis que je posai un rose fraîche sur sa tombe.

Die Drei 6/2016.              Traduction Daniel Kmiecik. Mis sur le site avec son autorisation.

[1] Sigrid Damm : Christiane et Goethe. Une recherche, Francfort-sur-le-Main & Leipzig 1998, p.134.

[2] À l’endroit cité précédemment, p.190.

[3] Sigrid Damm (éditrice) : Christiane Goethe . Journal de 1816 et lettres, Francfort-sur-le-Main & Leipzig 1999.

[4] Cité d’après : www.klassik-stiftung.de  Christiane Vulpius, Amie et femelm de Goethe.

[5] Sigrid Damm : Christiane et Goethe, p.182.

[6]  À l’endroit cité précédemment, p.363.

[7] À l’endroit cité précédemment, p.338.

[8] À l’endroit cité précédemment, p.336.

[9] Pourtantt, « les deux tirailleurs en question étaient avinés et l’avaient menacé de leurs armes, jusque dans sa chambre… » John Charpentier Goethe, éditions Taillandier, Paris 1943, p168. ndt

[10] À l’endroit cité précédemment, p.330.

[11] À l’endroit cité précédemment, p.347.

[12] À l’endroit cité précédemment, p.397.

[13] Letter de Goethe à Christiane le 12 septembre 1815, cité d’après www.zeo.org/Literatur/M/Goethe, +Johann+Wolfgang/Briefe/1815

[14] Il y eut tant de morts, que l’année suivante, se mit en place un commerce des ossements humains qui furent vendus aux Anglais comme amendement agricole : c’est ainsi que des ossements européens divers quant à leur origine, ont enrichi les terres d’Angleterre… ndt

[15] Sigrid Damm : Journal de 1816, p.324.

[16] À l’endroit cité précédemment, p.340.

[17] matt, ou « mate » (adj. fem.)au sens de « perdre son éclat » que le patois du nord a gardé dans le langage courant avec un notion de fatigue ressentie simultanément à la perte du rayonnement naturel que devait avoir sans aucun doute Christiane. ndt

[18] À l’endroit cité précédemment, p.358.